Pierre Restany et Milan

Alessandro Mendini, 2006

Le « Parisien » Pierre Restany a été le plus grand critique d’art « milanais ».
Je pense qu’il n’y a jamais eu aucun critique d’art qui, arrivé en tant qu’étranger en un lieu lointain, n’en soit devenu l’intellectuel et le critique le plus influent. Il n’y a eu qu’un seul cas, celui de Pierre Restany, critique français qui, par son immense charisme, a fait autorité sur la scène artistique milanaise et l’a dominée pendant de longues années. Qui plus est, cela s’est produit sans qu’il réside de manière permanente dans la ville, par sa seule présence, régulière et épisodique, due à sa collaboration avec la revue Domus. Le binôme Domus-Milan l’amena précisément à lancer le mouvement du Nouveau Réalisme, qui trouva dans la piazza del Duomo un creuset naturel de communication et de propagande. Celui de conseiller d’édition permanent et de rédacteur de la rubrique d’art de Domus.
À Milan, Pierre Restany conçut et affina ses systèmes de référence les plus vastes et s’ouvrit à des problématiques de grande envergure. Le Nouveau Réalisme fut précisément le seul courant européen capable de tenir tête à la puissance créatrice du Pop Art. Et la revue milanaise Domus se révéla pour lui un instrument de recherche et de divulgation privilégié par rapport à d’autres, lui permettant de diffuser sa conception esthétique et philosophique dans le monde entier, jusqu’au manifeste du Rio Negro.
Être sensitif et ultrasensible, initiateur devenu personnage de légende, il entretint également des relations avec les maires et les différents adjoints à la culture de Milan, organisant des expositions et aidant au choix des artistes et des thèmes, sans parler des très nombreux amis, artistes, directeurs de galeries, intellectuels, banquiers, architectes et designers pour lesquels il fut un interlocuteur attentif et une présence stable.
Pour toutes ces raisons, Restany fut un apatride, mais aussi un Milanais en ce sens qu’il se plongea totalement dans l’histoire et la réalité contemporaine de Milan. Lorsque je devins directeur de Domus, il me soutint constamment, généreux et disponible aux autres. Sa figure de sage et d’expert, son don d’ubiquité, son énergie galvanisante ont ensorcelé Milan pendant des années.
Je me demande parfois qui des deux l’emporte, la personnalité ou le critique d’art. La personnalité présente au théâtre de la Scala, dans la Galerie, à toutes les expositions. En réalité, Pierre Restany a intimement mêlé les deux : c’est un homme à part pour avoir vécu à fond le roman de sa fonction de critique, mettant en scène le spectacle de sa propre personne, jouant son théâtre visuel dans le rôle multiple de l’acteur, du chamane, du prêtre, du protecteur, de l’apôtre, du messager et du gardien.
Aussi est-il impossible d’enfermer Pierre Restany dans des limites, même à Milan. Sa quintessence est celle d’un grand émissaire de l’art, audacieux, précis et spécialisé. Un émissaire de l’utopie cosmique de l’art dans ce dur monde qui est le nôtre. Un chroniqueur affable, disponible, généreux, exotique, éclairé et attentif. Une biographie intemporelle, un recueil d’anecdotes parfait pour un film portant sur un demi-siècle d’art.